Cristina

Partie 9 – L’ombre d’un toit fragile

2.1.28

J’attendais toujours que l’école m’informe de mon déménagement vers village 2, mais après plusieurs mois, je n’avais reçu aucune nouvelle. Je suis allé voir l’assistant de M. Heinz au service international. C’était un jeune homme tout juste diplômé. Il m’a dit qu’il avait envoyé un e-mail au siège du CROUS. Quand je lui ai demandé s’il pouvait relancer, il m’a répondu qu’il était très occupé et n’avait pas le temps de s’occuper de ça. Rim m’a expliqué que le rôle principal du service international de l’École de chimie de Bordeaux était de renforcer la coopération internationale dans les projets de recherche de l’école et d’aider les étudiants à trouver des stages à l’étranger. Sans expérience internationale en stage au cours des trois années, il est impossible d’obtenir son diplôme. Cependant, l’École de chimie de Bordeaux accueillait très peu d’étudiants étrangers, et l’expérience du service international dans la gestion de leurs besoins est très limitée.

Je me préparais constamment à quitter village 1, mais cette attente compliquait encore plus la gestion des documents administratifs liés à mon changement de ville. Ma carte bancaire avait une validité de deux ans et aurait dû être renouvelée peu après mon arrivée à Bordeaux. Une fois expirée, il m’aurait été impossible de manger au restaurant universitaire, de faire mes courses au supermarché, ou même de recharger mon téléphone sur les bornes automatiques. Cependant, l’agence bancaire responsable de mon compte et l’adresse que j’avais enregistrée auprès de la banque étaient toutes deux à Rennes. Ma nouvelle carte bancaire aurait été envoyée à cette ancienne adresse, désormais inexistante.

Je suis allé au guichet d’une agence bancaire à Bordeaux pour demander un changement d’adresse, mais ils m’ont répondu qu’ils n’en avaient pas l’autorité et que je devais envoyer une lettre recommandée à l’agence de Rennes. J’ai envoyé cette lettre, mais leur réponse a été renvoyée à mon ancienne adresse à Rennes. Après d’innombrables visites à l’agence de Bordeaux, l’agence de Rennes a finalement envoyé une réponse à ses collègues de l’agence de Bordeaux, indiquant que pour changer mon adresse, je devais fournir une pièce d’identité délivrée par la préfecture et une attestation de logement fournie par village 1.

Cependant, comme la résidence de village 1 n’avait pas encore reçu les paiements promis par le service international de l’école, elle refusait de me fournir une attestation de logement. Pendant ce temps, mon titre de séjour étudiant d’un an, délivré à Rennes, était sur le point d’expirer. Je devais le renouveler auprès de la préfecture de la Gironde. Pour ce renouvellement, trois documents étaient nécessaires : une attestation d’inscription au semestre délivrée par l’École de chimie de Bordeaux (que je possédais déjà), une attestation de logement (refusée par village 1), et une attestation de situation financière délivrée par la banque (impossible à obtenir tant que mon adresse bancaire n’était pas mise à jour). À l’époque, tous les documents étaient envoyés par courrier postal, ce qui peut sembler inimaginable à l’ère numérique actuelle.

De plus, si je soumettais ma demande de renouvellement de titre de séjour à la préfecture avant mon déménagement à village 2, il faudrait attendre plusieurs mois pour que la carte soit fabriquée. Pendant ce temps, la préfecture m’enverrait une lettre pour m’indiquer la date de retrait du titre. Pour être certain de recevoir cette lettre, je ne pouvais pas changer d’adresse pendant cette période, ce qui signifiait que je ne pouvais pas déménager pendant plusieurs mois.

2.1.29

Gérer toutes ces démarches me rendait complètement épuisé. De plus, la poste, la banque, la préfecture et autres services administratifs se trouvaient tous dans le centre-ville, très éloigné, et n’accueillaient le public que pendant les heures de bureau. J’étais donc obligé de sécher les cours à plusieurs reprises pour régler ces problèmes.

Par ailleurs, les ronflements tonitruants de mon voisin m’empêchaient de dormir la nuit, ce qui affectait considérablement mon état le lendemain. Pendant mes années en classe préparatoire internationale à Rennes, pour éviter de susciter la jalousie de Big Ben et ses manœuvres malveillantes susceptibles de semer le trouble dans les relations au sein de la classe, je m’efforçais de ne pas obtenir de trop bons résultats aux examens. (Le comportement de Big Ben est décrit en détail dans le tome 1.) J’avais prévu, une fois arrivé à Bordeaux, de déployer tout mon potentiel et de montrer à mes anciens camarades de prépa de quoi j’étais vraiment capable. Mais la vie dans cette ville s’est révélée si rude que je devais d’abord trouver le moyen de simplement survivre. Pouvoir m’asseoir tranquillement dans une salle de classe pour écouter les cours était devenu un luxe hors de portée.

À Rennes, en prépa internationale, la plupart de mes camarades étaient également étrangers et partageaient les mêmes soucis que moi. Nous pouvions nous encourager mutuellement. Mais à Bordeaux, tous mes camarades de classe étaient français. Ils n’avaient jamais rencontré les problèmes auxquels je faisais face, et ils ne comprenaient même pas pourquoi je séchais les cours ou pourquoi je ne participais pas à leurs soirées. Leur vie semblait uniquement faite de romances et de moments paisibles. Le gouvernement français leur accordait en plus une allocation mensuelle de 400 euros pour leurs études, leur évitant ainsi la pression financière de demander de l’argent à leurs parents.

Avec des conditions d’études aussi favorables, ils ne les appréciaient pas à leur juste valeur et passaient leurs soirées à faire la fête. Je ne pouvais m’empêcher de ressentir une certaine jalousie : cette compétition était totalement injuste. Je donnais tout ce que j’avais, mais je n’atteignais même pas leur ligne de départ. Je trouvais cela révoltant. Comme j’aurais aimé avoir des conditions propices pour étudier sérieusement et me mesurer à eux uniquement sur mes compétences !

Comme si le destin ne trouvait pas encore suffisant de m’humilier ainsi, un jour, j’ai trouvé une lettre recommandée dans la boîte aux lettres de village 1. Elle venait de la gestion de la résidence. La lettre indiquait qu’ils n’avaient toujours pas reçu le paiement de mon loyer de la part de l’école et que je devais régler immédiatement, sous peine de poursuites judiciaires !

2.1.30

J’ai montré la lettre à Sandra. Elle fut très surprise et m’expliqua que l’école avait déjà transféré une année de loyer au siège du CROUS. Elle me conseilla de ne pas assister aux cours du lendemain matin et de me rendre au bureau de gestion de village 1 pour clarifier la situation.

Au bureau de gestion, une vieille dame corpulente et bienveillante en apparence était assise derrière son bureau. Je m’installai sur une chaise devant elle. Elle corrigeait tranquillement des documents sans prêter la moindre attention à moi, comme si je n’existais pas. Ce n’est qu’après un long moment qu’elle leva enfin la tête, ajusta ses lunettes à monture dorée et, d’un ton calme et extrêmement doux, me dit :

« Monsieur Wang, permettez-moi de vous faire comprendre une chose : je suis débordée, constamment sollicitée. Et vous, à mes yeux, vous ne valez même pas une fourmi. Je peux vous écraser à tout moment » (elle fit un geste d’écrasement avec son pouce et son index), « et vous mettre à la porte dès ce soir, pour que vous dormiez dans la rue. »

Elle se redressa, s’avança lentement vers la fenêtre, respira profondément l’air extérieur, et s’exclama :

« Le temps semble se refroidir de plus en plus. On dit qu’il va pleuvoir ce soir. Je me demande si dormir dehors sous la pluie serait une expérience agréable pour vous ? »

Je la regardai froidement et lui dis que l’école avait déjà réglé mon loyer pour l’année entière auprès du CROUS. Elle agita son index droit devant mon visage et, avec un sourire moqueur, me répondit :

« Chut, jeune homme. Mentir n’est pas une bonne habitude. Seriez-vous en train de m’accuser d’avoir détourné vos quelques sous ? Si vous brisez les règles, c’est regrettable pour vous. Mais si vous brisez les règles tout en essayant de le cacher, c’est encore pire, car c’est vous qui en subirez les conséquences. J’ai vécu bien des années et je n’ai jamais entendu dire qu’une école payait le loyer de ses étudiants. Revenez vite sur terre et oubliez vos illusions. Parlons plutôt de choses sérieuses, voulez-vous ? »

Je finis par céder sous son autorité, car pour moi, obtenir une attestation d’adresse de village 1 était essentiel pour changer mon adresse bancaire et renouveler mon titre de séjour. Après quelques négociations, j’ai accepté de payer le loyer de septembre, en échange de la possibilité de reporter celui d’octobre à la fin du mois, dans l’espoir que l’école ait d’ici là versé les fonds au CROUS.

Ce n’est qu’ensuite que nous avons découvert la vérité : un employé du siège du CROUS avait négligé son travail et retenu le paiement de l’école au lieu de le transférer à village 1, ce qui avait causé ce malentendu. Cependant, village 1 ne m’a jamais remboursé le loyer de septembre.

2.1.31

Cet incident a poussé Thomas et moi à réfléchir sérieusement à comment changer l’atmosphère de village 1, où tout le monde vivait isolé et sans aucun soutien mutuel. Nous étions convaincus que notre silence contribuait à encourager l’arrogance du personnel de gestion. Nous avons affiché un avis sur les murs de la résidence, invitant tous les résidents à se réunir une semaine plus tard, un jeudi soir, devant les tables en bois situées devant le restaurant universitaire n°1. Chacun devait apporter de la nourriture pour faire connaissance. Chaque jour, nos affiches étaient arrachées par les agents d’entretien, et chaque jour, nous les remettions. Nous étions remplis d’espoir, imaginant que, dans une semaine, nous pourrions transformer tous les résidents en une grande famille.

Mais une semaine plus tard, Thomas et moi sommes restés assis longtemps devant les tables en bois, avec une salade à la main. Finalement, seulement deux personnes sont venues : une jeune fille noire très mince nommée Doris, qui vivait au même étage et dans le même bâtiment que nous, ainsi que son petit ami, qui habitait à l’extérieur. Voyant que personne d’autre ne viendrait, nous avons décidé de retourner tous les quatre dans notre résidence.

Sous la lumière, Doris était encore plus jolie : ses traits étaient fins et délicats, légèrement différents de ceux des autres résidents noirs de village 1, avec un nez subtilement droit et une bouche finement dessinée.

– “Bien sûr,” se présenta-t-elle joyeusement, “je viens de l’île de La Réunion, une région d’outre-mer française située dans l’océan Indien, près de Madagascar. Je suis Française, et une petite partie de mon sang est d’origine européenne.”

Elle expliqua que les résidents noirs du village 1 étaient pour la plupart originaires d’Afrique de l’Ouest, avec des cultures et des traditions très différentes des siennes.

Elle nous présenta aussi son petit ami, un Martiniquais, lui aussi originaire d’un département d’outre-mer français. En apprenant cela, je ressentis une certaine proximité avec eux, car Gérald venait également de la Martinique. Thomas et moi nous présentâmes à notre tour. Doris apprécia nos efforts pour rassembler les résidents, mais elle avoua avoir toujours su que nous échouerions.

En réalité, une demi-heure avant de venir, elle et son petit ami nous avaient observés de loin et avaient constaté qu’aucun autre résident ne se joignait à notre initiative. Elle n’avait initialement pas prévu de participer, mais en voyant à quel point nous étions seuls, elle avait décidé de venir pour valider nos efforts et nous montrer son soutien. La semaine précédente, elle avait essayé d’encourager nos voisins africains noirs à participer à notre réunion, mais elle s’était heurtée à une attitude conservatrice et pessimiste de leur part.

“Tu sais, Alex,” nous dit Doris, “notre village 1 est surnommé la ‘ville morte’, et on raconte même qu’il est maudit : personne n’a jamais réussi ses examens de fin de semestre ici. Les meilleurs redoublent, les autres se font carrément renvoyer.” Ses paroles intensifièrent mon sentiment de désespoir.

– “Les Africains noirs qui vivent ici sont étranges,” dis-je, “ils ne parlent ni anglais ni français. Je ne comprends pas comment ils peuvent suivre les cours.”

– “Ces gens-là ne sont même pas étudiants,” répondit Doris d’un ton affirmatif, sous nos regards surpris. “Les loyers dans les résidences CROUS sont relativement bas, mais les conditions de vie sont médiocres. Beaucoup d’étudiants éligibles sous-louent leur logement à d’autres, souvent illégalement. La gestion ici est si chaotique qu’elle ferme les yeux sur ces pratiques, ce qui rend la résidence dangereuse pour nous, les vrais étudiants.” Doris exprimait une profonde inquiétude.

2.1.32

Après avoir raccompagné Doris et Thomas, je me suis assis seul au milieu de cette forêt primaire dense en feuilles de bambou. Les ronflements tonitruants de mon voisin retentissaient à nouveau, comme chaque nuit, m’empêchant de trouver le sommeil. Anna avait apporté mon ordinateur de Rennes, je l’ai allumé, connecté à mon disque dur externe, et me suis plongé dans les photos de mes anciens camarades, cherchant des souvenirs doux et réconfortants.

Soudain, un grand bruit éclata : la résidence était à nouveau plongée dans le noir à cause d’une coupure d’électricité.

Dans l’obscurité, je me suis faufilé dans ma moustiquaire et me suis assis seul à l’intérieur. Je savais que quelqu’un irait réenclencher le disjoncteur et que le courant reviendrait bientôt. En attendant tranquillement, une inspiration soudaine m’envahit, et je composai dans ma tête un poème dédié à Cristina. Une fois l’électricité rétablie, je comptais l’écrire sur mon ordinateur, le sauvegarder sur une clé USB et l’envoyer par e-mail à Cristina le lendemain depuis l’école. Ce poème, intitulé “Si”, disait ceci :

Si

Je voudrais te préparer un plat chinois,
Et savourer avec toi cette nostalgie pleine de saveurs,
Si j'avais une cuisine.

Je voudrais t’écrire un e-mail,
Te parler comme le clair de lune,
Des phrases embellies par toi, qui hantent mon esprit,
Si j'avais internet.

Nous nous croisons sur le chemin, intentionnellement ou non,
Dans mes rêves, je m’envole avec des ailes pour venir te voir,
Si j'avais de quoi acheter un billet de train.

Les oiseaux dorment déjà,
Dans cette nuit calme, je pense à toi,
Je veux allumer mon ordinateur, feuilleter des photos,
Sous une lumière douce, contempler ton visage,
Si j'avais de l'électricité.